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« Avec les yeux du langage » : la violence du texte dans La violenza Illustrata et Blackout de Nanni Balestrini

Ada Tosatti

Résumé

Défini par Umberto Eco comme le « brigadiste rouge de la littérature » lors de la parution de La violenza illustrata, Nanni Balestrini s’intéresse, dès les années soixante, au rapport entre écriture et engagement. Le mouvement de 68 marque toutefois un tournant, qui prendra corps dans les pages de la revue Quindici, dans l’orientation littéraire et politique de l’auteur. Balestrini se dirige vers le militantisme direct, ainsi que le montre sa participation au groupe extraparlementaire Potere Operaio et, après la dissolution de celui-ci en ’73, à Autonomia Operaia. Mais, surtout, à partir de son roman Vogliamo Tutto (1971) la perspective révolutionnaire devient prédominante dans ses écrits, tant par leurs contenus que par leurs formes.

A travers l’analyse de deux œuvres représentatives de la production contestataire de Balestrini pendant les années soixante-dix, La violenza illustrata (1976) et Blackout (1980), cette communication voudrait s’interroger sur l’exercice de la violence sur le texte et par le texte. Si l’ordre du discours est en même temps discours de l’ordre, pour le dire avec Foucault, notre propos consiste ici à questionner le lien entre subversion des normes linguistiques et subversion politique, sujet central de notre thèse de doctorat portant sur L’extrémisme littéraire et politique pendant les années soixante-dix.

Il s’agira d’examiner la technique même de production des deux œuvres qui, par l’assemblage de fragments textuels ou visuels hétérogènes tirés pour la plupart de l’actualité politique, tend à rendre visible la violence intrinsèque de la société et du langage. En traitant le texte comme pur signifiant qui, détourné, décontextualisé, peut être renouvelé et investi d’un sens inédit, Balestrini cherche ainsi à dévoiler la valeur d’image de tout énoncé, représentation partielle et univoque.
Afin d’« illustrer », à travers la destruction de l’ordre du discours, la nature coercitive du langage, l’auteur semble donc à son tour, dans les deux œuvres, faire violence au lecteur, l’obliger à questionner la portée sémantique du texte et des matériaux dont il est constitué, le contraindre à se confronter avec le pouvoir des mots.

Texte intégral

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Dès ses premières œuvres au sein de la Neoavanguardia, Nanni Balestrini s’intéresse au rapport entre pouvoir et langage. Il le fait avec un radicalisme[1] qui, selon Renato Barilli, « non stava tanto nel respingere il concetto di impegno, quanto piuttosto nel cercare di ritrovarlo entro lo specifico letterario »[2].

Le mouvement de 1968 marque toutefois un tournant dans l’orientation littéraire et politique de Balestrini. Celui-ci s’investit dans les luttes politiques et sociales caractérisant la stagione dei movimenti, ainsi que le montre son engagement au sein du groupe extraparlementaire Potere operaio, jusqu’à sa dissolution en 1973, et à Autonomia operaia ensuite. De façon concomitante à son militantisme, dès le roman Vogliamo tutto (1971), de nouveaux contenus ouvertement idéologiques s’imposent dans ses écrits.

Selon l’hypothèse de Tullio Pagano[3], au moment où Balestrini s’aperçoit que le potentiel de rupture de la Néoavant-garde est progressivement réabsorbé par la bourgeoisie, il choisit la voie d’un projet révolutionnaire dans lequel le langage puisse se transformer en action. Certes, dans une conférence organisée par Potere operaio lors de la publication de Vogliamo tutto, Balestrini dénonçait l’illusion de croire que l’intellectuel pût faire de la politique uniquement par ses écrits, et revendiquait la nécessité d’un engagement direct[4]. Toutefois, la spécificité de ce que nous pourrions appeler la production contestataire de Balestrini – qui, partant de Vogliamo tutto, concerne des textes comme La violenza illustrata (1976), Vivere a Milano (1976) ou Blackout (1980) – semble bien résider dans la double portée subversive de ces textes, une subversion qui agit tout autant à l’intérieur du champ littéraire que du champ politique.

Dans une récente interview[5], Balestrini indiquait d’ailleurs, comme genèse de La violenza illustrata, son désir de croiser deux éléments qui avaient été jusque-là séparés dans sa pratique d’écriture : une méthode formelle de déconstruction de la langue, qu’il avait appliquée tant dans la poésie que dans la prose mais essentiellement dans le cadre d’une approche métalinguistique, et son intérêt pour une actualité politique et sociale tumultueuse affrontée dans Vogliamo tutto à travers une technique de narration orale[6].

Avec La violenza illustrata, le lien entre littérature et réel se présente donc sous une nouvelle forme par rapport à la période de la Neoavanguardia, l’actualité politique et sociale occupant une place centrale dans les pages du roman. De l’aveu même de l’auteur[7], le roman comporte une dimension de propagande politique qui veut contrer la criminalisation du movimento de la part du pouvoir établi et s’y opposer. L’étude de La violenza illustrata permet de s’interroger sur nombre de questions : quel rapport peut s’établir entre subversion textuelle et subversion politique ? Quel est le pouvoir d’incidence du texte littéraire sur la réalité ? De quelle façon le texte, englobant en lui-même – suivant ses propres moyens – la violence politique et sociale du monde, se fait non seulement l’instrument d’une dénonciation, mais peut concourir à renverser l’ordre existant ?

Le texte en lambeaux

La violenza illustrata, comme cela ressort des épisodes racontés dans chacun des dix chapitres, est en premier lieu la représentation d’une violence qui s’exerce à tous les niveaux de la société : guérilla urbaine, incidents et accidents sur le lieu de travail, braquage d’une banque, luttes pour l’habitation, manifestations ouvrières, lutte armée.

À travers une lecture de surface, le lecteur est immédiatement frappé par la brutalité qui émane du texte. La présence de corps blessés, mutilés, la thématique constante de la mort vont de pair avec la description des affrontements sanglants, nombre de chapitres apparaissant comme des bulletins de guerre où dominent les attributs de la lutte : bombes lacrymogènes, cocktails Molotov, armes à feu.

L’objectif de l’auteur, toutefois, n’est pas la simple description de la violence mais, ainsi que le titre l’indique, son illustration, terme à entendre dans sa double valence de représentation et d’exemplification. Autrement dit, la violence n’est pas seulement dans les contenus ; elle prend corps à travers le traitement des matériaux linguistiques.

Par la technique de composition de l’œuvre, qui part de l’utilisation de matériaux hétérogènes tirés principalement de la presse et assemblés ensuite selon un nouvel ordre, La violenza illustrata se présente comme une arène où s’affrontent des voix discordantes. Sorte de représentation théâtrale de violences opposées[8], elle met en scène une multiplicité de consciences, d’idéologies et de langages différents qui font penser au concept de polyphonie tel que Bakhtine le définit dans La poétique de Dostoïevski.

Le texte ainsi conçu exemplifie ce qui, selon Gilles Deleuze et Félix Guattari, constitue la violence – pas seulement métaphorique – du langage. Revenant sur les théories du linguiste John Langshaw Austin, ces auteurs considèrent que le terme de force appliqué au langage doit être pris littéralement : la violence du langage résulte selon eux de l’inscription des antagonismes sociaux dans des antagonismes discursifs et donc de l’affrontement entre différents « agencements collectifs d’énonciation ». Deleuze et Guattari parlent à cet effet de la confrontation réelle qui s’établit, à l’intérieur d’une langue, entre dialectes majeurs et mineurs, où le terme dialecte est à prendre au sens de « langage spécifique »[9].

Ce contraste entre des langages majeurs, dominants, et mineurs, contestataires, se retrouve dans La violenza illustrata, où l’entrechoc des discours fait émerger la portée idéologique de ceux-ci. Ainsi, dans le chapitre vi, « Deportazione », décrivant les luttes pour le logement qui avaient opposé des habitants aux forces de l’ordre dans le quartier périphérique de San Basilio près de Rome, en septembre 1974, à une majorité d’extraits tirés de la « presse bourgeoise » répondent de rares extraits tirés de la presse d’extrême gauche[10]. De même, le chapitre viii, « Documentazione », est construit sur l’alternance entre les extraits d’une nouvelle de Goffredo Parise[11] décrivant la vie d’un couple de la petite bourgeoisie italienne et le témoignage d’un ouvrier racontant les luttes chez Fiat en mars 1973. L’opposition thématique se déroulant au niveau des deux mondes et de leurs valeurs se double d’une opposition stylistique qui passe par la confrontation entre deux pratiques d’écriture. À la recherche d’un nivellement du langage de la part de Parise fait face une narration en prise directe émanant d’un sujet interne au prolétariat, qui n’est pas sans rappeler la démarche utilisée par Balestrini dans Vogliamo tutto.

Ce caractère polyphonique du texte s’accompagne d’une technique de la fragmentation des discours. L’on retrouve ici une méthode courante chez Balestrini, formulée par celui-ci dans l’essai « Linguaggio e opposizione », paru dans l’anthologie I Novissimi en 1960. L’auteur y définissait l’opération poétique comme « lo stuzzicare le parole, il tendere loro un agguato mentre si allacciano in periodi, l’imporre violenza alle strutture del linguaggio, lo spingere a limiti di rottura tutte le sue proprietà »[12].

Dans La violenza illustrata, cette démarche, appliquée au langage de l’information, acquiert une valeur directement politique. Ainsi, au chapitre ii, « Descrizione, ancora una volta la guerriglia si è scatenata nei giornali di Milano », qui relate les violents affrontements ayant eu lieu à Milan en mars 1972 entre les groupes extraparlementaires et les forces de l’ordre, Balestrini intervertit les deux dernières phrases de quelques paragraphes : « una bomba molo / nestra della sala telescriventi. La benzina schizzata / tov è finita in un ufficio »[13], comme pour reproduire dans le texte les effets de l’attaque du Corriere della Sera par les manifestants. L’interruption de la lecture linéaire provoque « un inquietante contrasto tra la violenza narrativa dei fatti e la freddezza del loro disporsi estraniato su colonne di piombo »[14], faisant émerger de la sorte la réalité d’une violence autrement absorbée de façon presque inconsciente par le lecteur d’un quotidien. Le texte lui-même se transforme en champ de bataille, où les discours seraient comme des corps dépecés, en lambeaux.

La multiplication de fragments hétérogènes relatifs à un même sujet sert, par ailleurs, à démontrer l’ambiguïté de tout discours prétendument objectif. Comme le souligne Niva Lorenzini, la technique de la fragmentation des discours « vale sia come operazione strumentale “in vista” della negazione della parola univoca e monovalente, sia come realizzazione di un linguaggio d’opposizione che contiene in sé non solo la consapevolezza, ma la effettiva traduzione in atto dei meccanismi oppositivi »[15]. En traitant le texte comme pur signifiant qui, détourné, décontextualisé, peut être réinvesti d’un sens nouveau, Balestrini dénonce de fait la valeur d’image de tout énoncé, représentation partielle et univoque.

L’on pourrait multiplier les exemples. Au chapitre vii du livre, « Dichiarazione », la libération du magistrat Mario Sossi est racontée à huit reprises selon des versions à chaque fois différentes. Les informations divergentes s’enchaînent : l’heure d’arrivée du magistrat à Gênes, le nombre de kidnappeurs, l’échange téléphonique avec son ami Caruso. Cette multiplication de renseignements contradictoires n’est pas seulement le fait du changement du narrateur de l’épisode (dans le chapitre se croisent en effet les voix à la première personne du magistrat Sossi et du docteur Caruso, et le récit à la troisième personne de journalistes mal identifiés), car nombre d’incohérences apparaissent, même lorsque l’événement est rapporté par la même personne. De même, les contradictions se multiplient au chapitre ix, « Direzione », qui revient sur la mort de la terroriste Mara Cagol. Combien étaient les terroristes, combien de bombes ont-ils lancées, à quel moment ont-ils tenté de fuir ? La juxtaposition de renseignements contradictoires dévoile l’imprécision du discours journalistique, qui semble lui-même cacher les rouages par lesquels le pouvoir manipule l’opinion publique.

À travers le morcellement des discours, Balestrini cherche non seulement à illustrer les mécanismes derrière lesquels le langage de la communication abrite sa violence, mais il s’applique à détruire de l’intérieur ce même langage[16]. Dès le chapitre i, « Deposizione », qui présente le témoignage de la mère du lieutenant Calley au procès du massacre de My-Lai pendant la guerre du Vietnam, l’auteur met en œuvre une double technique de destructuration et de détournement de la prétendue neutralité du langage.

Chaque paragraphe qui compose le chapitre, séparé du suivant par un espace blanc, est formé de l’assemblage désordonné de fragments de la déclaration de la mère de Calley, dans laquelle se mélangent sans aucune ponctuation des lieux communs sur la beauté, la description de sa maison, le récit de sa première rencontre avec son mari et ainsi de suite, de façon à créer un fleuve ininterrompu de paroles. Le jeu de collage souligne la platitude, l’absence de profondeur et de cohérence de son discours : il s’en dégage l’impression de pouvoir échanger chacun des fragments sans que cela nuise aucunement à la compréhension, de fait inutile.

Grâce à la polyvalence de termes qui paraissent fonctionner aussi bien avec la phrase qui précède qu’avec celle qui suit, une sorte de logique semble parfois apparaître dans le discours décousu du personnage, logique immédiatement contredite par la progression de la lecture. Par exemple, tous les paragraphes se terminent par un mot qui reste en suspens et qui, dans la plupart des cas, se rattache au début du paragraphe suivant. Cette règle n’étant toutefois pas systématique, le lecteur se trouve parfois brusquement réveillé de la torpeur dans laquelle ce langage apparemment inoffensif semble le bercer. Ainsi en est-il également de la présence de conjonctions de coordination ou de subordination qui, par endroits, enchaînent les phrases selon des rapports d’analogie ou d’opposition de fait illusoires, comme dans cet extrait :

Tutte le fasi della guerra con una piccola cinecamera per esempio non voleva saperne dei capelli lunghi e delle minigonne delle ragazze credo che abbia preso molto da me per quello che riguarda una certa severità nel guardare la vita e questo potrebbe creargli dei problemi adesso per un po’ avremo delle vacanze ma tuttavia in quel primo incontro dopo il suo ritorno non provai nessuna sensazione speciale[17].

L’incongruité, la vacuité de la déposition de la mère de Calley, mises en relief à travers ce jeu sur la syntaxe, acquièrent un aspect d’autant plus terrifiant si on les ramène au contexte dans lequel ces phrases dépourvues de sens ont été prononcées : le procès d’un homme responsable d’avoir ordonné le massacre de plus de 500 civils vietnamiens.

« Controinformazione »

Apparaît de la sorte le caractère performatif de La violenza illustrata, pour reprendre un terme emprunté à la théorie des actes linguistiques de J. L. Austin. Une dimension performative qu’il faut entendre au sens large, en partant de l’hypothèse que le texte dans son ensemble fonctionnerait à la fois comme un acte illocutoire, c’est-à-dire accomplissant une action par le simple fait de la dire, et un acte perlocutoire, se caractérisant par le fait d’induire une réaction chez l’interlocuteur.

La fragmentation des discours d’un côté et la perception d’une règle de composition poétique de l’autre[18], rendent en effet impossible une lecture passive du texte et obligent le lecteur à prendre part activement à la constitution de son sens.

Si, dans son sens premier, illustrare signifie « mettre en lumière », La violenza illustrata apparaît plutôt comme le négatif d’une photographie. Face à la surexposition des informations insignifiantes du langage journalistique, la technique de Balestrini, sorte d’ironie socratique, consiste au contraire dans le fait de taire l’essentiel. Tous les éléments pouvant permettre une compréhension immédiate du contexte sont absents ou sous-entendus : situations, noms des personnages, dates, sources.

Le lecteur, face à l’absence de ces données essentielles, est obligé de mener un travail d’enquête, de retrouver les pièces manquantes, les fragments disparus, de retisser les liens. Réseau de renvois, l’œuvre apparaît comme un labyrinthe dans lequel le lecteur serait à la recherche de son fil d’Ariane. En d’autres termes, le roman oblige le lecteur à questionner les informations qu’il reçoit, à participer activement à ce travail de contre-information qui avait été une des pratiques politiques les plus répandues de l’extrême gauche italienne[19].

Ainsi, dans le chapitre iii, « Deduzione », qui présente alternativement des chroniques journalistiques sur des accidents du travail et sur la visite à Naples du président de la République, Giovanni Leone, pendant le choléra en août 1973, deux fragments pouvant passer inaperçus dans le flot d’informations introduisent un élément dissonant[20]. Il s’agit de deux extraits renvoyant respectivement au massacre de Piazza della Loggia à Brescia le 28 mai 1978, par des extrémistes de droite, et au massacre du Estadio Nacional de Santiago lors du coup d’État de Pinochet en septembre 1973. L’évocation de ces deux épisodes de violence politique connote différemment tout le contexte dans lequel ils sont insérés, en créant un rapport de contiguïté entre la mort au travail et l’assassinat politique. Ce lien est d’ailleurs renforcé par la reprise du terme strage[21] pour désigner un énième accident du travail dans le paragraphe qui suit celui sur Piazza della Loggia. L’allusion au putsch de Pinochet suggère, quant à elle, le contexte de la stratégie de la tension, et la crainte qu’un coup d’État soit organisé en Italie par certaines franges des services secrets italiens (SID) proches de l’extrême droite. Semble ainsi être évoquée l’interdépendance entre les différents niveaux du pouvoir : le patronat et l’extrême droite. Si l’on prend en considération que le chapitre se conclut sur un clin d’œil de l’auteur évoquant la visite que le président de la République rendra, dans le chapitre suivant, « a un suo padrone »[22], que ce patron jamais nommé est l’armateur grec Onassis, que la dictature des Colonels entretenait des liens avec des franges des services secrets italiens proches de l’extrême droite, le texte semble ainsi, par une série de renvois non explicites, contraindre le lecteur à prendre conscience des fils qui unissent les maillons du pouvoir. Un pouvoir économico-impérialiste qui rappelle, dans ses différentes manifestations, le SIM (Stato imperialista delle multinazionali) dénoncé par les Brigades rouges comme la nouvelle forme de l’oppression capitaliste.

De la même façon, dans le chapitre consacré à la libération du magistrat Sossi, « Dichiarazione del dottor Caruso terribilmente emozionato dopo una giornata così tranquilla e serena », le lecteur est immédiatement interpellé par l’ironie du sous-titre ainsi que par la contradiction entre ce qui est y annoncé et le corps du texte. La déclaration, en effet, n’est pas seulement celle du docteur Caruso, mais de Sossi lui-même, même si celui-ci n’est jamais nommé, et l’on peut imaginer que la journée de sa libération, après un mois de détention par les Brigades rouges, n’a de fait pas été si tranquille. De plus, hormis le fait que l’enlèvement subi par Sossi est en lui-même un acte de violence, aucune brutalité n’émerge directement du récit de son retour à Gênes. Le lecteur est amené à questionner le sens des récits multiples et divergents de sa libération : que cèlent toutes ces déclarations contradictoires et anodines, quelle violence autre le texte veut-il démasquer ? L’on ne peut que formuler des hypothèses, aucune réponse explicite n’étant fournie par le texte lui-même. Mais, sachant que la question de la libération de Sossi en échange de celle de huit militants du Groupe XXII Ottobre avait fait l’objet d’une âpre controverse, pendant un mois et à plusieurs niveaux de l’État et de la magistrature, et que Sossi avait fourni pendant sa détention des déclarations compromettantes sur les rapports entre la magistrature et la vente illégale d’armes, l’on peut supposer que la violence dont il est question est celle d’un pouvoir qui aurait préféré voir Sossi tué par les brigadistes plutôt qu’en liberté.

Un autre exemple de cette quête du sens induite par la composition du texte se trouve au chapitre ix, « Direzione ». Tout le chapitre est construit autour de « l’absence d’identité » d’une femme tuée dans un échange de coups de feu avec une patrouille de carabiniers. Le lecteur averti comprend, même si elle n’est jamais nommée, qu’il s’agit de la brigadiste Mara Cagol. Toutefois, les différentes interrogations qui ponctuent le chapitre et qui alternent avec des extraits de son autopsie, de sa description physique et avec plusieurs versions contrastées de l’affrontement avec les forces de l’ordre, suggèrent que la violence n’est pas celle qui apparaît à une première lecture. L’opposition entre la première phrase du premier paragraphe, « la giovane è stata colpita da due proiettili »[23], et la dernière phrase du dernier paragraphe, « sul petto della donna ci sono tre fori la dimostrazione »[24], semble suggérer là encore la violence étatique en obligeant à s’interroger sur un mystère qui n’a jamais été résolu : Mara Cagol a-t-elle été tuée dans le feu de la bataille ou de sang-froid ?

Subversion et propagande

Nous savons l’importance que Balestrini, dès la réunion du Gruppo 63 à Palerme sur le roman expérimental, accordait à la structure formelle considérée par lui comme l’élément constitutif du roman d’avant-garde[25]. Ce contraste entre ordre et désordre, entre foisonnement et règle, qui renvoie à la définition de la Néoavant-garde comme « ordinata progettazione del disordine » donnée par Fausto Curi[26], recouvre dans La violenza illustrata une évidente portée idéologique.

De fait, si le désordre textuel sert le projet de subversion du code dominant, la règle au niveau de la composition pourrait être lue comme la tentative d’instaurer un nouvel ordre de valeurs. Le titre et sous-titre du dernier chapitre, « Dimostrazione, scrittura e distruzione scrittura e liberazione », annoncent cette nécessaire révolution du système de valeurs dominant selon lequel l’acte de création serait connoté positivement alors que l’acte de destruction le serait négativement. Par l’association des substantifs distruzione et liberazione, l’écriture y est conçue comme un acte de destruction libératoire à partir duquel il serait possible d’imaginer un ordre nouveau.

Tout le dernier chapitre, clé de voûte de La violenza illustrata, illustre cette pratique de subversion. Constitué d’extraits tirés des chapitres précédents entourés de nouveaux fragments, il semble englober en lui l’intégralité du roman et mettre en œuvre une double pratique de renversement, tant à l’intérieur du chapitre que par rapport à la totalité du livre[27].

Alors que le chapitre s’ouvre sur trois paragraphes composés d’extraits de lettres de la terroriste allemande Ulrike Meinhof dans lesquels elle décrit la sensation d’aliénation physique et mentale due à sa captivité, les trois derniers se terminent sur la description d’un orgasme féminin, inversant positivement la thématique corporelle[28]. L’évocation de cette jouissance féminine est à mettre en relation avec un autre thème nouveau qui apparaît dans le chapitre : le récit d’une grande manifestation ouvrière ayant envahi les rues de Milan en avril 1975. Les fragments liés à cet épisode restent présents, en alternance avec d’autres, dans les onze derniers paragraphes comme une note constante, un leitmotiv : la lutte ouvrière semble monter en puissance, avancer et s’étendre comme une vague déferlante de plaisir.

L’apparition de fragments liés à la prise de Saigon par les communistes en avril 1975 renvoie, quant à elle, directement au premier chapitre du livre. La violence de l’impérialisme américain évoquée par le procès du lieutenant Calley est ici renversée, car à présent ce sont les Américains qui sont obligés de fuir. Un énième subtil renversement s’opère enfin au niveau des symboles : aussi bien dans les extraits liés à la prise de Saigon que dans ceux relatifs à la manifestation ouvrière, l’on remarque une insistance sur le champ lexical des couleurs et des drapeaux. Alors que l’ambassadeur américain s’échappe avec son drapeau bleu et rouge sous le bras, les ouvriers dans leurs bleus de travail envahissent les rues de Milan en agitant des drapeaux rouges.

Dans ce final triomphaliste, la subversion de l’ordre existant semble ainsi être en œuvre à la fois sur le plan textuel et sur le plan historique, la révolution en marche à travers le monde pouvant renverser le pouvoir capitaliste[29].

Dans ce sens, La violenza illustrata semble faire œuvre de propagande, voire inciter à l’action.

À ce propos, il est important de questionner la position de l’auteur qui fait preuve d’une attitude ambiguë, en ce sens qu’il concilie une distance maximale par rapport à la matière du livre – puisqu’il réutilise des matériaux préexistants qu’il ne fait qu’assembler – avec un jugement qui transparaît à la fois dans la façon de composer ce matériel et dans cet espace à la lisière du texte que sont les titres et les sous-titres des chapitres[30].

Grâce au procédé poétique des coblas capfinidas[31], qui consiste à reprendre au début du chapitre suivant un mot ou un concept évoqué à la fin du chapitre précédent, Balestrini marque en effet un rapport d’analogie, d’opposition, voire de conséquence entre les dix chapitres. Par ce biais, la violence contre-institutionnelle est montrée comme une réaction justifiée à la violence du pouvoir. Ainsi, l’utilisation du terme bandito[32] pour désigner Onassis au chapitre iv, repris au chapitre suivant (« I banditi sono tre »[33]) qui décrit un hold-up dans une banque, établit un rapport entre la richesse démesurée d’Onassis et le braquage de la banque et légitime la fameuse phrase de Brecht utilisée comme sous-titre : « Che cos’è una rapina in banca di fronte alla fondazione della banca stessa ? ».

En ce qui concerne les sous-titres, il est intéressant de remarquer que, hormis la citation de Brecht, ils sont écrits par Balestrini lui-même ou tirés des tracts et de la presse des groupes d’extrême gauche. De ce fait, l’auteur laisse transparaître son ralliement aux positions contestataires qu’ils expriment, reprend en son nom les mots d’ordre du mouvement. Si nous employons l’expression « mot d’ordre », c’est que la valeur de propagande du texte va de pair avec sa dimension programmatique. En effet, non seulement les chapitres, au nombre de dix, semblent évoquer un décalogue, mais tous les titres des chapitres, appartenant à la catégorie des substantifs déverbaux, indiquent donc une action. Certes, cette action est la plupart du temps relative au domaine de la parole ou de la réflexion (deposizione, descrizione, deduzione, dissertazione, etc.). Toutefois, deux termes qui sortent du champ de la démarche spéculative retiennent l’attention : deportazione, qui introduit le chapitre sur les luttes pour les maisons, et direzione, relatif à la mort de Mara Cagol.

Le terme deportazione, qui connote fortement tout le chapitre vi en rapprochant la rébellion des habitants expulsés de la rhétorique résistancielle chère aux groupes d’extrême gauche (renforcée d’ailleurs par le sous-titre « Mirate ai punti neri o son fascisti o son carabinieri ») introduit l’idée d’une violence subie. Lui répond le terme direzione, titre du chapitre ix, en suggérant par son sous-titre, « Che mille braccia si protendano per raccogliere il suo fucile », tiré du tract publié par les Brigades rouges après la mort de la terroriste, comment réagir à cette oppression[34].

Ce titre et ce sous-titre sont par ailleurs reliés au chapitre qui précède par un nouveau procédé d’anadiplose, dans lequel sont décrites les luttes autonomes chez Fiat, et indiquent la direction vers laquelle doivent se tendre « le braccia protese »[35] des ouvriers évoqués dans la dernière phrase. Ainsi semble apparaître clairement la nécessité que l’insurrection prolétarienne se transforme en lutte armée contre le système capitaliste.

L’idée de la nécessité de la lutte se trouve confirmée dans le dixième chapitre, dont on a vu la centralité, à travers l’alternance entre les extraits décrivant la manifestation milanaise d’avril 1975 et des fragments d’un texte de propagande politique incitant à la lutte armée : « Solo la lotta armata trasforma l’uso capitalistico della soppressione della legge del valore in lotta operaia per la soppressione reale del comando del capitale e del lavoro, solo la lotta armata parla oggi di comunismo. »[36].

 

En conclusion, l’on peut donc remarquer comment La violenza illustrata semble appeler à une relation renouvelée, notamment par rapport à la période de la Neoavanguardia, entre le texte et le monde, entre subversion textuelle et subversion politique. Se trouve ainsi explicitée cette phrase tirée du chapitre x et qui peut être considérée comme la clé de lecture de tout le roman, et plus généralement de la production contestataire de Balestrini pendant les années soixante-dix : « Al posto della fondazione della scrittura nel rituale s’instaura la fondazione su un’altra prassi vale a dire il suo fondarsi sulla politica. »[37]


[1] Avec le sens de la formule qui le caractérise, Umberto Eco décrivait d’ailleurs en ces termes l’auteur de La violenza illustrata : « Era sempre stato un brigatista rosso della letteratura, che sequestrava i testi e li restituiva tagliati a pezzi. » Umberto Eco, « La violenza illustrante », Corriere della Sera, 7 mars 1976.

[2] Renato Barilli, « L’epicità “minimalista” di Balestrini », L’informazione bibliografica, n° 1, janvier-mars 1987, p. 13-19.

[3] Tullio Pagano, « Le avanguardie entrano in fabbrica : scrittura e rivoluzione in Vogliamo tutto di Nanni Balestrini », Letteratura e industria : atti del XV convegno AISLLI (Torino, 15-19 maggio 1994), G. Barberi Squarotti et C. Ossola éd., Florence, Olschki, 1997, vol. 2, p. 1025-1037.

[4] Nanni Balestrini, Prendiamoci tutto. Conferenza per un romanzo, letteratura e lotta di classe, Milan, Feltrinelli, 1972. De la même façon, Balestrini, interrogé par Tommaso Kemeny sur la charge révolutionnaire de ses textes, lors d’un débat organisé sur la poésie des années soixante-dix, affirmait « di non volere dare messaggi, ma di utilizzarli, distruggerli, falsificarli, accumularli ». Voir Il movimento della poesia negli anni settanta, T. Kemeny et C. Viviani éd., Bari, Dedalo libri, 1979.

[5] Il s’agit d’une interview que l’auteur m’a accordée au mois de novembre 2008.

[6] Susanne Kleinert souligne comment, dès Vogliamo tutto, Balestrini cherche à « propager des stratégies subversives » visant à un soulèvement insurrectionnel. Voir Susanne Kleinert, « Violence politique et sentiment d’irréalité : la représentation des années 70 chez Balestrini, Camon et Vassalli », Actes de la conférence internationale « La valeur de la littérature pendant et après les années 70 : le cas de l’Italie et du Portugal », M. Jansen et P. Jordao éd., Université d’Utrecht, Pays-Bas, 11-13 mars 2004.

[7] Interview accordée par l’auteur au mois de novembre 2008, déjà citée.

[8] Umberto Eco, 1976, op. cit.

[9] Cette réflexion est développée par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans Mille Plateaux, Paris, Minuit, 2002 [1980].

[10] Un exemple est fourni par les citations suivantes, dans lesquelles les jeunes extraparlementaires sont assimilés à des teppisti [voyous] : « Le violenze compiute da gruppi di giovani fra i quali si sono inseriti anche gruppi della malavita e teppisti », p. 85 ; « Alcuni teppisti salgono poi sul mezzo », p. 88. Un contre-exemple est fourni par cet extrait d’un journal d’extrême gauche où le terme assassini désigne les forces de l’ordre : « Alle 20,10 qualche scaramuccia poi gli assassini scelgono una ritirata tattica », p. 93 ; voir Nanni Balestrini, La violenza illustrata seguita da Blackout, Rome, Derive Approdi, 2001 [1976].

[11] Il s’agit de la nouvelle de Goffredo Parise, « Italia », publiée dans le recueil Sillabario 2, Milan, Mondadori, 1982, p. 197-203.

[12] Nanni Balestrini, « Linguaggio e Opposizione », I Novissimi. Poesie per gli anni ’60, A. Giuliani éd., Turin, Einaudi, 1965, p. 196-198.

[13] Nanni Balestrini, 2001, op. cit., p. 41.

[14] Umberto Eco, 1976, op. cit.

[15] Niva Lorenzini, 1978, op. cit., p. 48.

[16] Ce procédé avait déjà été observé par Niva Lorenzini par rapport aux sections finales de Come si agisce : « La “normalità sintattica”, insieme al realismo lessicale e alla tenuta ritmica, tendono al duplice scopo, consueto in Balestrini, di dimostrare da una parte la violenza del linguaggio riproponendolo in sistemi fissi e in strutture vincolanti, e dall’altra di liberare, servendosi della stessa rigida impalcatura (e qui sta l’astuzia strutturale) meccanismi oppositivi che distruggono dall’interno quel linguaggio, pur lasciandone apparentemente inalterata l’ossatura. » (Lorenzini, 1978, op. cit., p. 54)

[17] Nanni Balestrini, 2001, op. cit., p. 22.

[18] Par exemple, chaque paragraphe du chapitre iii est composé de deux phrases séparées par un point, avec une succession thématique qui suit l’ordre ABC tous les trois paragraphes. De même, le chapitre viii présente des paragraphes organisés autour de trois phrases séparées par un point ; à l’intérieur de chaque paragraphe, deux discours alternent selon la règle ABA/BAB, qui semble renvoyer à une formule de tercets.

[19] Voir à ce sujet « La controinformazione » d’Aldo Bonomi dans L’orda d’oro 1968-1977. La grande ondata rivoluzionaria e creativa, politica ed esistenziale, N. Balestrini et P. Moroni éd., Milan, Feltrinelli, 2005 [1988], p. 591-596. Intéressant pour l’analyse de La violenza illustrata est aussi le rapprochement avec le journal Controinformazione qui, du moins à ses débuts, crée un pont entre l’aire de l’Autonomie et celle de la lutte armée. Voir l’article de Chicco Funaro, « “Il comunismo è giovane e nuovo”. Rosso e l’Autonomia operaia milanese », Gli autonomi. Le storie, le lotte, le teorie, S. Bianchi et L. Caminiti éd., vol. 1, Rome, Derive Approdi, 2007, p. 158-202. Attilio Mangano écrit au sujet de Controinformazione : « La scelta documentaria non esita ad accostare materiale riservati di reale controinformazione e tesi delle organizzazioni terroristiche, in una contiguità di collegamenti che spinge altri gruppi di nuova sinistra ad accusarla di essere fin troppo “aperta” alle aree della lotta armata. Del resto, come già Potere Operaio non aveva esitato a pubblicare documenti delle Brigate Rosse, l’appoggio delle aree autonome alle varie forme di “illegalità” della lotta di classe e di rifiuto del lavoro è parte integrante di una cultura della radicalizzazione del conflitto che è vissuta come esemplarità rivoluzionaria. » (Attilio Mangano, Le riviste degli anni settanta : gruppi, movimenti e conflitti sociali, Pistoia, Centro di documentazione di Pistoia, 1998, p. 47)

[20] Les voici : « Alle 10,15 è esplosa la bomba della strage chi è stato colpito direttamente dallo scoppio sono state le persone che stavano nella piazza dalla parte opposta al palco del comizio il bilancio della strage è drammatico 6 morti e 94 feriti » ; « Il corrispondente che è riuscito a penetrare nello stadio ha visto 200 cadaveri per la maggior parte giovani operai uccisi con raffiche di mitra sparate a bruciapelo alla gola o al petto tra le vittime vi erano anche delle donne. » (Nanni Balestrini, 2001, op. cit., p. 51-52)

[21] Nanni Balestrini, 2001, op. cit., p. 52.

[22Idem, op. cit., p. 54.

[23Idem, op. cit., p. 122.

[24Idem, op. cit., p. 132.

[25] « In questo romanzo artificiale tutto torna dunque a far pernio sul disegno strutturale, a differenza di quanto avveniva nel romanzo informale [...] mi sembra che (almeno per noi, o per la maggior parte di noi) si tratti per lo più di strutture derivate, derivabili, o in ogni modo apparentabili a strutture della poesia. Cioé di strutture puramente formali, che organizzano il materiale verbale. » (Nanni Balestrini, Gruppo 63. Il romanzo sperimentale, Palermo 1965, Milan, Feltrinelli, 1966, p. 132-135.

[26] Fausto Curi, « Tesi per una storia delle avanguardie », Gruppo 63. Critica e teoria, R. Barilli et A. Guglielmi éd., Milan, Feltrinelli, 1976, p. 320-327 (1re parution dans la revue Il Verri, n° 8, 1963).

[27] L’agencement même des chapitres vient lui aussi renforcer l’idée d’un renversement s’opérant à travers la composition du texte. En effet, l’alternance entre des chapitres composés de 22 et 33 paragraphes semble faire apparaître une certaine circularité, car, en considérant à part le chapitre x à cause de sa spécificité, l’on obtient la succession suivante : ABB/BAB/BAA, avec une inversion évidente de la structure globale du roman.

[28] La reprise du terme sensazione, qui est répété plusieurs fois dans les trois premiers paragraphes comme dans les trois derniers, établit un lien évident entre le début et la fin du chapitre, induisant à la fois le renversement de la thématique corporelle et la circularité du texte : « La sensazione che ti esploda la testa la sensazione che il cranio possa esserti strappato via esplodendo la sensazione che il midollo spinale ti si comprima tutto nel cervello la sensazione che il cervello ti si raggrinzisca la sensazione che l’anima ti pisci via dal corpo » ; « Una sensazione di vertigine di perdere me stessa come se non esistessi come corpo ma solo come sensazione come se ogni nervo del mio corpo diventasse vivo e cominciasse a pensare la sensazione di un nodo rigido che scoppia e fluttua improvvisamente e io apprezzo molto questa sensazione e sono piena di amore. » (Nanni Balestrini, 2001, op. cit., p. 133 et 142)

[29] Il n’est pas anodin que le livre, qui retrace les temps forts de l’insurrection prolétarienne à partir de la révolte de Fiat en mars 1973, considérée comme la première manifestation de l’Autonomia operaia, se termine par l’évocation de la révolte chronologiquement la plus proche de la publication du livre, les giornate d’aprile de 1975 à Milan, dans lesquelles certains avaient vu à l’époque l’émergence d’un nouveau « sujet révolutionnaire » : « Le giornate dell’aprile 1975 resteranno a lungo nella coscienza dei militanti rivoluzionari […] perché queste giornate rappresentano un primo punto di arrivo, vittorioso, del movimento autonomo di classe nella lotta contro il riformismo, per il comunismo. […] Così è esploso questo formidabile cocktail esplosivo dell’autonomia proletaria e operaia, così s’è realizzato e consolidato il potenziale rivoluzionario delle masse. » Tiré du journal Rosso cité dans Chicco Funaro, op. cit., 2007.

[30] Umberto Eco écrit à cet effet : « Balestrini sta chiaramente ancora oggi col protagonista di Vogliamo Tutto. Ovvero, il giudizio c’è ma tutto calato nel modo di montare il proprio materiale. » (Umberto Eco, 1976, op. cit.)

[31] Gian Paolo Renello, « Guida alla lettura », dans Nanni Balestrini, 2001, op. cit., p. 226 (p. 211-252).

[32] Nanni Balestrini, 2001, op. cit., p. 70.

[33Idem, 2001, op. cit., p. 71.

[34] Il est intéressant de remarquer que les événements racontés au chapitre vi peuvent être considérés comme étant à l’origine de la prise de conscience de Mara Cagol quant au rôle actif qu’elle se doit de jouer dans le processus révolutionnaire, comme en témoigne une lettre qu’elle avait adressée à ses parents le 8 septembre 1974, à la suite de la mort du jeune militant Fabrizio Ceruso : « E’ giusto e sacrosanto quello che sto facendo, la storia mi dà ragione come l’ha data alla Resistenza nel 45. […] Questo stato di polizia si regge sulla forza delle armi e chi lo vuole combattere si deve mettere sullo stesso piano. In questi giorni hanno ucciso con un colpo di pistola un ragazzo, come se niente fosse, aveva il torto di aver voluto una casa dove abitare con la sua famiglia. Questo è successo a Roma, dove i quartieri dei baraccati costruiti coi cartoni e vecchie latte arruginite stridono in contrasto alle sfarzose residenze dell’Eur. » Collectif, Sguardi ritrovati, Rome, Sensibili alle foglie, 1995, p. 71-72.

[35] Nanni Balestrini, op. cit., p. 121.

[36Idem, p. 138.

[37] Nanni Balestrini, op. cit., p. 133.


Citer cet article :

Ada Tosatti, « "Avec les yeux du langage" : la violence du texte dans La violenza Illustrata et Blackout de Nanni Balestrini », colloque Littérature et "temps des révoltes" (Italie, 1967-1980), 27, 28 et 29 novembre 2009, Lyon, ENS LSH, 2009, http://colloque-temps-revoltes.ens-lsh.fr/spip.php?article78